Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
MORIN KHUUR & URTIIN DUU
9 mars 2009

CHANT POUR ATTENDRIR LES FEMELLES QUI REFUSENT D'ALLAITER- chant traditionnel d'éleveur, accompagné au MORIN KHUUR -

--------------------------- 2010-10-21 V6 ----

Chant pour attendrir
les femelles qui refusent d'allaiter

Tradition des éleveurs nomades d'Asie

Documents grand public :
# Film "Le Chameau qui pleure"
# CD avec Li Bo, instrumentiste originaire de Mongolie intérieure

Mot-clés :
chant (song, duu, dyy)
hucher, brioler, huchement, briolage,
morin khuur (vièle-cheval, horsehead fiddle)

A) Tradition des éleveurs :
le huchement, le briolage
- l'action de hucher, de brioler -

Les mélodies huchées d'Asie Centrale sont connues des ethnologues mais sont -à ma connaissance- peu représentées dans les collections de disques qui recherchent l'authenticité (comme Ocora). (Une remarque au passage : si on traque "l'authenticité", c'est parce qu'elle est perdue.)

Hucher, c'est utiliser la voix pour influer sur le comportement d'un animal (et il s'agit a priori d'un animal domestique).

Le verbe 
hucher et le nom huchement sont les termes généralement utilisés par les ethnographes, mais il y en a beaucoup d'autres, d'usage plus localisé, tel le verbe brioler et le nom briolage.

S'il y a beaucoup de termes -et dans de nombreuses langues- pour désigner cette façon de s'adresser aux bêtes, c'est tout simplement parce qu'autrefois le huchement (ou briolage) était pratiqué dans de nombreuses contrées : en Asie, en Europe, etc. Dans toutes les contrées sur Terre où les hommes voulaient utiliser des animaux domestiques pour en faire l'élevage ou pour les faire travailler.
[ Ici, les bêtes désignent les animaux domestiques : "un bon berger prend soin de ses bêtes".]

Encore vivace chez les éleveurs nomades de Mongolie, la tradition du huchement nous permet de plonger au coeur d'une très ancienne tradition d'élevage, car les ancêtres des éleveurs actuels avaient mis au point des techniques bien spécifiques et fort efficaces pour influencer le comportement de l'animal. Ainsi le fameux "chant pour attendrir les femelles qui refusent d'allaiter".

Ici on est donc loin de "l'art pour l'art"... (référence de cette expression : histoire littéraire, France, XIXe siècle)
Le huchement (ou briolage) désigne des techniques vocales ayant un but pratique mais touchant au coeur : qu'il s'agisse d'attendrir les femelles qui refusent leur petit ou qu'il s'agisse de rassurer un bébé chameau, qui a peur dans la nuit, il faut que ce qui touche le coeur de l'animal parte du coeur de l'homme.
Il s'agit donc d'un art très pur : un art qui n'a rien à vendre, mais tout à donner.
C'est la seule beauté qui vaille, celle qui va de coeur à coeur.


B) Documents grand public :
Sur ce sujet, il existe certainement des documents ethnographiques, c'est-à-dire des documents recueillis par des ethnologues à des fins d'études. Mais ces documents ne sont pas forcément - et sont même rarement - accessible au grand public. Nous nous intéressons donc ici à des productions sonores que tout un chacun peut se procurer, parfois au prix de quelques efforts.
Voici donc deux documents grand public à propos du "chant pour attendrir les femelles qui refusent d'allaiter"

B1) Film "Le Chameau qui pleure"
C'est un film qu'un certain nombre de gens connaissent puisqu'il est sorti dans les salles, et notamment en France où j'ai pu le voir.
Ce film a été co-réalisé par une femme mongole Byambasuren Davaa et un italien, Luigi Falorni

En voici le synopsis, où j'inclus quelques informations complémentaires :
Au printemps, dans le troupeau d'une famille d'éleveurs nomades du désert de Gobi, une chamelle met bas mais refuse d'allaiter son petit.
Faisons connaissance avec le biotope. Le désert de Gobi est une très vaste contrée aride s'étendant sur le Sud de la Mongolie indépendante et sur le nord de la Chine, plus précisément dans la province de "Mongolie intérieure"...

Parenthèse.

...C'est ainsi que le désert se trouve aux portes de Beijing (Pékin). Quand le vent du nord souffle sur le "Gobi", il soulève et emporte une quantité prodigieuse de sable et de poussière qui viennent se déposer sur la ville de Beijing, la recouvrant d'une couche de poussière.
Un auteur que je connais en parle dans un eBook : voir lien en colonne de droite.

Fin de la parenthèse.

Le terme "désert de Gobi" est une appellation occidentale qui mérite une explication. "Gobi" est un terme mongol. En langue mongole, un gobi, c'est une cuvette aride à fond caillouteux.
Donc pour désigner ce vaste ensemble aride, un Mongol ne parlerait pas du "désert de Gobi" (avec une majuscule), il parlerait des gobis (au pluriel et avec une minuscule).
Le film est tourné en Mongolie indépendante dont est originaire la co-réalisatrice mongole du film, Byambasuren Davaa.

Le film peut être qualifié de docufiction, puisqu'il montre la vie quotidienne d'éleveurs mongols de cette région, au travers d'une histoire scénarisée.

La scène qui donne son nom au film renvoie à une antique tradition des éleveurs nomades de Mongolie :
le chant pour attendrir les femelles qui refusent d'allaiter.
Ce chant est fondé sur des onomatopées et il fait à une chanteuse accompagnée d'un joueur de morin khuur.
Dans un région aussi aride, les éleveurs sont obligés de se déplacer fréquemment, utilisant la tente démontable que d'après un mot turc nous appelons en Occident "yourte" mais la langue mongole utilise le terme "ger". Un "ger", La tente démontable des éleveurs nomades mongols, nous l'appelons en Occident une "yourte" (d'après un mot turc), mais les Mongols, dans leur langue, disent : un "ger".
Par ailleurs, il faut savoir qu'il y en Mongolie indépendante plusieurs ethnies avec chacune leurs costumes, leur dialecte voire leur langue, car il n'y a pas que des Mongols parmi les peuplades installées - depuis longtemps - à l'intérieur des frontières de l'actuelle Mongolie indépendante.

Revenons au film "Le Chameau qui pleure" et au fil de l'histoire.
Un petit que sa mère refuse d'allaiter se retrouve rapidement en danger de mort. Et il n'y a pas de joueur de morin khuur dans cette famille d'éleveurs. La famille envoie donc deux enfants - deux garçons dont un très jeune - vers l'école de musique la plus proche, où ils demanderont à un joueur de morin khuur de bien vouloir venir accompagner ce "chant pour attendrir les femelles qui refusent d'allaiter".
Le film est empreint d'une grande simplicité qui sied à la vie simple et rude des éleveurs nomades.

A ma connaissance, "Le Chameau qui pleure" est toujours disponible en DVD.

Mais je connaissais le "chant pour attendrir les femelles qui refusent d'allaiter" bien avant d'aller, et c'est parce que je connaissais déjà ce chant que j'ai voulu aller voir ce film lors de sa sortie.
Comment avais-je connu ce chant? Par un CD. C'est le second document grand public dont je vais vous parler.

B2) "Chant pour attendrir les femelles qui refusent d'allaiter" sur le CD "The Tale of Matouqin"

Pochette du CD :
The_Tale_of_matouqin___Pochette_de_ce_CD_chinois

Photo du soliste Li Bo, originaire de Mongolie intérieure, grand spécialiste du 馬頭琴, nom chinois du morin khuur.
The_Tale_of_matouqin___Soliste_LI_BO

Ce CD est, "à la base", un CD de morin khuur, avec des morceaux instrumentés. Mais on y trouve aussi des morceaux chantés et notamment ce fameux "chant pour attendrir les femelles qui refusent d'allaiter". Le joueur de morin khuur auquel est consacré ce CD est originaire de Mongolie intérieure, cette province chinoise où d'ailleurs les Mongols sont moins nombreux que les représentants de l'ethnie Han (majoritaire en Chine). On peut voir régulièrement sur la télévision chinoise (CCTV notamment), des prestations d'artistes issus des minorités, ainsi des Mongols jouant du morin khuur ou chantant l'urtiin duu (un magnifique chant traditionnel) ou chantant le chant diphonique, dit "khoomeï" (throat-singing en anglais, le khoomeï recouvre d'ailleurs plusieurs techniques différentes, selon la façon dont l'inteprète produit -physiquement- le son).

Ce qu'il faut comprendre, c'est que les peuples chinois (je parle des Han) et le peuple mongol ont tous deux une langue, une longue histoire et de longues traditions culturelles. Ces deux histoires s'entremêlent puisque les armées de Temüdjin (connu sous le nom de Tchingis Qaghan ou, en français, Gengis Khan) concluent victorieusement, en 1215, le siège de Beijing (Pékin).
La Chine sera même entièrement sous domination mongole de 1271 à 1368: c'est la dynastie Yuan, fondée par l'empereur mongol Kubilaï Khan.
Parmi les peintres chinois ayant vécu sous cette dynastie Yuan, on citera bien sûr Ni Zan, mais aussi Huang Gongwang, Wu Zhen, et Wang Meng. Pour une première approche vous pouvez chercher "Ni Zan" sur le Wikipédia anglais mais je vous suggère de consulter en bibliothèque des livres d'art consacré à la peinture chinoise.
Je disais que les histoires respectives des peuple mongol et Han se sont parfois croisés, de manière tumultueuse.
Mais les différences sont très grandes entre les deux cultures. Les Mongols sont des éleveurs nomades et les Han des paysans sédentaires.
La culture des éleveurs mongols est traditionnellement orale et c'est seulement au XIIIe siècle après J-C que les Mongols ont inauguré une culture écrite avec un alphabet inspiré de l'alphabet ouighour.
Tandis que les Han produisaient déjà des documents écrits dès le XIV avant J-C.
Vous voyez la différence dans le mode de vie - nomade / sédentaire -, dans l'accès à l'écriture - XIIIe siècle après J-C versus au moins le XIVe siècle avant J-C. Ceci sans porter aucun jugement de valeur. Les cultures écrites ont leurs trésors, les cultures orales ont les leurs.
Une ordre grande grande différence est d'ordre démographique. Prenons la situation actuelle : les Mongols - répartis entre la Russie, la Mongolie intérieure et la Chine - ne sont que quelques millions tandis que la population des Han dépasse le milliard.
Nous l'avons, l'histoire des Mongols et l'histoire des Han se sont parfois croisées et il y a eu des échanges culturels entre Mongols et les Han. (En chinois, il n'y a pas de marque du pluriel, je ne mets pas de s à Han). Ainsi le morin khuur est depuis longtemps connu par les chinois qui le désignent sous le nom de 馬頭琴 -en pinyin ma3tou qin2- mot à mot cheval tête vièle (Non seulement les tons de la langue chinioise sont une nouveauté pour un locuteur français, mais en outre les lettres du pinyin ne sont pas forcément associées au même son qu'en français. Ainsi le "q" de "qin" ne se prononce pas "k". Pour la prononciation du pinyin, utiliser un site spécialisé ou une méthode de chinois avec exemples audio).
Je rappelle au passage qu'en mongol, ce qui s'écrit "kh" se prononce comme le "ch" allemand dans "achtung", et les voyelles redoublées -uu, ii- représentent des voyelles longues.

Ces repères étant posés, revenons à ce CD intitulé "The tale of matouqin" avec comme soliste Li Bo, prestigieux instrumentiste originaire de Mongolie intérieure.

Comme toute disque produit par l'industrie musicale, ce CD n'est pas un document ethnographique sur une tradition pure et dure qui serait enregistrée sur le vif dans le désert de Gobi au milieu d'un troupeau de disque.
Un disque produit par l'industrie musicale - mais c'est vrai pour les disques produits en Mongolie indépendante-, c'est un document sonore où vont se mêler instrument traditionnel et musique électronique, thème musical traditionnel et arrangement moderne, travail sur la prise de son, travail sur le son en studio (post-enregistrement).
De plus, avec l'écart culturel important -que j'ai signalé- entre les Mongols et les Han, les disques chinois de "matouqin" sont bien souvent très loin de la musique mongole. Et j'en ai écouté un certain nombre donc je peux en parler.
Mais pour moi, ce CD -"The Tale of Matouqin" avec Li Bo en soliste- est une exception dans la mesure où certaines plages du disque sont vraiment proches de la tradition mongole, et notamment la plage où figure le "chant pour attendrir les femelles qui refusent d'allaiter".
Quand aux plages qui sont assez de la tradition mongole -compositions originales-, elles s'écoutent à plaisir car Li Bo est un grand spécialiste de l'instrument, morin khuur en mongol, matouqin en chinois.
Donc je conseille ce disque. Je ne crois pas que vous pourrez le trouver en France mais vous pouvez soit le commander sur internet et si vous êtes embêté pour commander sur un site chinois, il vous restera de demander à quelqu'un qui va en Chine de vous le ramener.

------------------------------------------------------------
 

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Publicité